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jeudi 20 mars 2008

Quand la tradition interpelle...(suite)

Quand la tradition interpelle…(suite)

Aux questions précédemment posées, quelles réponses trouver ? Il serait prétentieux de faire croire que mes réflexions m’ont permis de découvrir une nouvelle voie qui ferait de moi comme un fondateur d’une nouvelle religion. Gaston Bachelard disait que l’essentiel, c’est de savoir poser les questions importantes, quitte à ne pas pouvoir les dépasser. Et la sagesse chinoise de renchérir : « Les questions sont des clés qui ouvrent les portes de la vérité. »Le problème est qu’il y a tant de portes qui cachent la vérité.
Les questions posées sont modestes et relatives à une situation personnelle, que bien des gens ont vécue en Afrique mais pour laquelle les solutions trouvées sont restées cachées. Il s’agit ici de partager des analyses qui nourriront une réflexion approfondie sur les conditions de rendre les traditions africaines fécondes.
Haro sur les préjugés
Pour ce faire, la première chose à faire est de refuser les préjugés. Les supposées superstitions africaines ne sont pas plus ridicules que celles de l’occident, Qu’il s’agisse de la croyance occidentale que c’est dangereux de passer sous une échelle, ou de celle des Mobas pour lesquels une femme enceinte qui se rend dans une maison mortuaire prend des risques dangereux, une préoccupation pratique les explique. Passer sous une échelle, c’est prendre le risque de recevoir des gouttes de peinture, si c’est un peintre qui s’en sert pour travailler. C’est risquer de recevoir du ciment voire des briques sur la tête s’il s’agit d’un maçon. Et même il peut s’agir tout simplement d’un accident plus grave si vous passez sous l’échelle au moment où elle se casse et que celui qui s’en servait vous tombe sur la tête.

De même, la femme enceinte d’Afrique devrait se garder d’aller dans une maison mortuaire pour la simple raison, que quand des gens pleurent pour avoir perdu un être qui leur est cher, il ne faut pas venir les narguer avec un être qu’on attend. La compassion, le profond respect de la douleur de l’autre avait amené les ancêtres africains, assez subtils dans l’art d’entretenir des relations avec les autres, à comprendre l’indécence qu’il y a à afficher la joie d’une grossesse devant l’affliction d’un deuil. Imaginez l’effet que ferait un milliardaire qui vient piqueniquer avec des mets succulents, du champagne, avec sa femme et ses enfants portant tous des bijoux en or dans un quartier de gens pauvres, affamés, sans leur partager cette joie du pique nique . Dans une telle perspective, la plupart des superstitions sont à comprendre comme des axiomes ou des théorèmes en matière de communication relationnelle pour suggérer aux générations une prudence dont ils peuvent redécouvrir le bien fondé, s’ils font l’effort de chercher à les comprendre.
Dieu
Une fois les préjugés, à défaut d’être surmontés, mis entre parenthèses, peut commencer une véritable analyse des différents éléments de la tradition.

Le premier élément est la place de Dieu. Dieu l’omniscient, le tout puissant, le Roi, pour reprendre l’expression, qui accompagne dans la bouche des sages l’évocation de Dieu, ne fait l’objet d’aucun culte. Quand il arrive de parler de lui, c’est pour souligner son sens de la justice, sa miséricorde, sa sagesse, bref toutes les qualités qui font sa perfection, et que nul autre au monde ne possède.

Il faut ici souligner une confusion qu’il faut se garder de faire. Dans le catalogue des rites prescrits dans la tradition moba, il y a les offrandes au yendu. Yendu en moba peut désigner à la fois Dieu, le soleil, et pour ce qui concerne les offrandes, elles sont destinées plutôt à un ensemble d’éléments qui chez chaque homme l’éclairent dans les différentes circonstances de la vie sur ce qu’il faut faire. Je serais tenté de dire que ce sont les « particules de soleil, » qui éclairent la vie de chaque homme. Pour comprendre ceci, un détour est nécessaire. Il faudrait aller chez les Gourmantché chez qui Dieu est désigné sous le nom Outién, le soleil ouyién et ces « particules de soleil » tchitchili. Tchitchili existe aussi en moba dans le sens vraiment de ce qui éclaire. Quand on doit se décider sur un problème et qu’on refuse les propositions faites, on dit : mes tchitchili ne sont pas d’accord.» Ces Tchitchili font l’objet d’un culte particulier chez des ancêtres lointains, où ils sont représentés par des statuettes qu’on ne sort que rarement, aux grandes occasions pour des offrandes.

Ainsi donc Dieu ne fait l’objet d’aucun culte. Tout au plus évoque-t-on à l’ouverture de tous les rites d’offrandes aux ancêtres ou éléments surnaturels proches des hommes, Yendu Sambienmongue, le « Benjamin au teint clair de Dieu », à qui on n’offre que de l’eau pure, et rien d’autre. Il est toujours invoqué en premier comme si une autorisation lui était demandée avant de s’adresser aux ancêtres ou aux entités surnaturelles qu’il est donné aux hommes de solliciter.

Cette attitude envers Dieu et son Benjamin au teint clair doit être comprise comme une profonde humilité de l’homme devant son créateur. Que peut offrir l’homme au créateur de toute chose ? Qui est-il pour oser s’adresser à lui ? A plus forte raison pour oser lui suggérer ou lui demander de faire les choses qu’il souhaite…Telle est l’essence des rapports entre Dieu et la société traditionnelle moba.

La tradition chrétienne nous apprend que même les anges se voilent la face devant Dieu, ne pouvant soutenir l’éclat de sa face. Et dans la bible, Dieu dit à Moise que s’il le voit, il mourra. La tradition chrétienne reconnaît bien que l’homme est indigne de voir Dieu, qu’il lui faut être humble devant Dieu. Mais le paradoxe du Chrétien, c’est de se proclamer fils d’un Père, qu’il ne voit pas.

La tradition moba semble plus cohérente. Dieu y est inaccessible à ses créatures, même à nos ancêtres décédés. Par contre, lui il peut intervenir comme il veut, quand il veut dans notre monde. C’est en cela que Dieu est souverain.
La police mystique
Si Dieu est inaccessible aux hommes, d’autres entités surnaturelles, qu’il a créées le sont. Les Tingbana par exemple, qui sont des entités vivantes habitant des forêts, des rivières ou des montagnes. Les hommes peuvent les solliciter pour avoir leur aide, dans le cadre de contrats précis, qu’ils doivent ensuite respecter. Ces Tingbana pendant longtemps ont été les véritables protecteurs de l’environnement. Le moindre arbre ou arbuste, le moindre gibier, le moindre point d’eau était sensé appartenir à un Tingban (singulier de Tingbana). Aussi cueillir des fruits sur ces arbres, prendre les racines de ces arbustes, enlever la vie à ces gibiers, boire cette eau s’inscrivait-il dans des contrats précis codifiés sous forme de rites, où l’on donnait aux Tingbana quelque chose en compensation de ce qu’on lui prenait. Ainsi, on était conscient qu’il ne fallait pas exagérer, et qu’il ne fallait prendre aux Tingbana que le minimum nécessaire. Cela permettait de respecter un certain équilibre dans la nature. Avec une telle démarche, la déforestation était impossible, ainsi que bien des maux dont souffre aujourd’hui l’environnement et qu’avec des milliards on n’arrive pas à guérir.

Les Tingbana ne sont pas les seuls verrous empêchant les hommes de déraper. Il y en a d’autres comme par exemple les sampolas ou gnomes ou d’autres entités encore. Tous d’une manière ou d’une autre participaient à la moralisation de la vie dans les sociétés traditionnelles. Les actes et les paroles des gens n’échappaient pas à ces entités, qui pouvaient se charger de punir ou de récompenser. En fait, il y avait comme une police mystique, qui garantissait l’ordre et la sécurité.

Pour faire le lien entre toutes ces entités surnaturelles et les hommes, il y a le charlatan. Il est l’intermédiaire, qui reçoit leurs messages et les transmet aux hommes. Il est là pour aider les membres de la société traditionnelle à tirer le meilleur profit des possibilités que ces entités surnaturelles peuvent leur offrir. Il est dépositaire d’une connaissance qui permet de soigner, de guérir, de tuer aussi.

Mais là, nous sommes à la limite de la sorcellerie. Car dans la société traditionnelle, ne tue que le sorcier. Le sorcier, c’est celui qui souvent se sert du pouvoir qu’une initiation lui a conférés pour faire du mal. Connaissant les différentes forces qui protègent l’ordre des sociétés, ils savent les contourner ou les manipuler s’ils se servent de la confiance que l’initiation instaure entre lui et ces forces. Mais il finit toujours par être rattrapé par la police mystique. Et pour cause. Dans un système où des arbres, des gibiers ne peuvent être abattus sans l’accord de leurs propriétaires, à plus forte raison l’homme ne peut être impunément tué. Et la compensation pour obtenir le droit de le tuer est telle que le crime est inimaginable dans les sociétés traditionnelles.
A suivre…

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