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mardi 8 avril 2008

Le politique et le père

LAURENT DJAGBA : LE POLITIQUE ET LE PERE

Laurent DJAGBA fut un homme politique et un père. Au moment où la politique pousse des militants qui se reconnaissent dans une certaine mesure dans ce qu'il fut, ce blog, tenu par son fila ainé veut les accompagner en publiant cette biographie et hommage au politique et au père...

Dans chaque goutte d’eau de mer
Se trouve la tombe du marin naufragé.
Dans chaque bouffée d’air que respire
Tout homme, il y a la tombe de ceux qui sont tombés,
Martyrs anonymes, dans le gouffre de l’histoire.
Autant de gouttes d’eau de mer,
Autant de tombes pour chaque marin.
Autant d’hommes qui respirent,
Autant de tombes pour chaque martyr.
Chaque fois que l’étendue des océans
Nous impressionne, c’est notre hommage de vivants
à Dieu et à chacun des marins qui y sont ensevelis .
Chaque fois que l’air nous fait du bien,
c’est la prière des martyrs pour les vivants
que nous sommes, qui est exaucée.
Djagba Laurent n’a pas de tombe.
Il est dans chaque bouffée d’air,
Même dans celle que polluent les bombes.

Tel est l’hommage de son fils Gilbert à Laurent DJAGBA. Pourquoi avoir nommé son enfant Gilbert, comme s’il avait voulu avoir son Gil pour ressembler jusque dans sa postérité à celui à qui il a été fidèle jusqu’au bout, Sylvanus Olympio ? Comble de l’anachronisme, les deux Gil ne se sont jamais rencontrés. Pour expliquer une telle situation, Gilbert dira tout simplement : « L’essentiel n’est pas dans les rencontres physiques. Sinon , nous devrions rencontrer physiquement Dieu et son fils chaque jour. Il se trouve qu’ils nous sont invisibles. »
Invisibles, Sylvanus et Laurent le sont aussi aujourd’hui. Et pourtant que de vies sont habitées de leurs rêves et de leur présence ! Une présence qui fut quête de l’essentiel : ABLODE, l’indépendance. Ce fut le point où leurs vies se rencontrèrent pour ne plus se séparer.
Une instruction forcée à l’école
Celle de Laurent DJAGBA commença en 1926 à Batambouaré, un village situé à 7 kilomètres de Dapaong. Son père, Djagba TOUOL et sa mère Damipi KOUOG étaient de paisibles paysans pétris à l’école de la dignité, du travail bien fait et du respect des valeurs ancestrales.
Au nom des ancêtres, Djagba TOUOL refusera que son fils soit scolarisé. Il est vrai qu’il n’avait pas tellement aimé les méthodes de l’administration coloniale, qui n’avait fait aucun effort pour sensibiliser les familles à la nécessité d’envoyer les enfants à l’école, mais s’était contentée de s’appuyer sur les chefs traditionnels pour qu’ils leur réquisitionnent au moins un enfant par famille.
Surpris par une première tentative de lui prendre son fils Laurent pour l’école, il dut se résoudre à le voir partir. Le temps des premières vacances scolaires fut mis à profit pour prendre sa revanche. Djagba TOUOL déménagea de nuit avec toute sa famille pour aller élire domicile en pleine forêt à quarante kilomètres de là, à quelques lieues de la frontière avec le Burkina Faso, à l’époque Haute Volta.
Mais le bref passage de son fils à l’école avait été si remarqué que les pères de l’Eglise envoyèrent un catéchiste du nom de Barsouni pour le retrouver et le ramener à l’école . Au grand dam de Djagba TOUOL, qui avait été surpris par la manœuvre . Dans sa colère, il jura qu’une école et des gens qui apprenaient aux enfants à désobéir à leurs parents ne feraient jamais rien de bon et que pour avoir écouté d’autres voix que la sienne, Laurent DJAGBA devrait se résoudre tôt ou tard à se voir dépassé par des gens qui n’ont pas été formés à cette école là.

Quand en 1971, il mourut assassiné dans les effroyables conditions, que son ami Marc ATIDEPE a relatées à la conférence nationale, sa mère conseilla à ses petits enfants de ne pas trop en vouloir à Eyadèma. Pour elle, ce sont les malédictions de Djagba TOUOL, qui avaient atteint son fils Laurent . S’il avait accepté de se laisser dépasser par le président, s’il s’était soumis à lui, il n’aurait pas eu de problème , concluait-elle.
Un homme lucide et travailleur
Mais Laurent DJAGBA n’était pas homme à accepter l’arbitraire. L’arbitraire pour lui, c’était la paresse et l’oisiveté. Dès son enfance, il s’illustra par son ardeur au travail dans les champs. Raison pour laquelle son père ne voulait pas le laisser partir à l’école. Pendant les saisons sèches il était artisan et fabriquait des chapeaux, des porte monnaies et autres objets en paille , qu’il revendait au marché.
A la Société Indigène de Prévoyance ( SIP), où il commença sa vie active à la fin des années 40 , dans la caserne des gardes-cercle où il fut ordonnance du colonel LEGAGUE, Djagba Laurent travaillait consciencieusement. Pour lui, l’arbitraire c’était aussi la routine, le refus du progrès. Aussi travaillera-t-il à embrasser une nouvelle carrière et à devenir greffier du tribunal de Lomé au milieu des années 50.
L’arbitraire c’était encore la colonisation, contre laquelle il s’engagea dans les années 50. A cette époque, avec un club d’amis comme le Chef DOBLI de Korbongou, BAKO Boukari, Martin SANKAREDJA , qui deviendra ministre de l’éducation nationale sous le Président Olympio, Raphaël JIMONGOU, Joseph NAHM TCHOUGLI , Pierre NAHM TCHOUGLI, Chomoko MOURRAY, TIEM Mama, Youma MOGORE, Nangbog Barnabo, Djayouri de Bogou, il s’intéressera vivement à la politique et adhèrera au Comité de l’Unité Togolaise, dont il devient député aux élections législatives de 1958. Il est alors élu dans une circonscription électorale, dont il n’est pas originaire, l’actuelle préfecture de Tandjoaré. En visitant régulièrement sa tante Kondoutouol mariée au chef SAMBIANI de Bombouaka, père de l’actuel Chef, il s’y était fait de solides amis comme les BARNABO à Nano, les LAMBONI, famille de feu le Ministre Barthélémi LAMBONI à Nandoga, les DJAYOURI à Bouogou. Tous lui apportèrent un soutien sans faille pour son étonnante victoire.

L'arbitraire encore c'était ce gendarme français qui le gifla alors que député élu il se rendait à Kpalimé. L'entrée de la ville était fermée par un barrage de gendarmerie, et DJAGBA Laurent cherchait à convaincre les agents de sécurité qui y étaient, dont lesieur en question, de le laisser entrer dans la ville. Le gendarme français ne trouva pas d'autre réponse qu'une gifle. Ceux qui furent témoins de la scène racontent comment en deux temps trois mouvements, appliquant les techniques de lutte traditionnelle de son enfance, Djagba Laurent l'envoya par terre et ne se retint de lui défigurer le visage que parce qu'il avait un certain sens de la loi. Cette épisode, croient certains, sera pour quelque chose dans son assassinat plus tard par des militaires. Ceux-ci privilégient la thèse d'un complot ourdi par l'esprit de corps de la gendarmerie française piqué au vif dans son amour propre et oubliant l'affront fait à un élu par le gendarme français. Ce complot fomenté en complicité avec l'armée togolaise visait soit à amener DJAGBA Laurent à renier sa fidélité à Ablodé, c'est à dire l'Indépendance, le nationalisme, soit à l'exécuter au cas où il refuserait de trahir Ablode.
Son engagement politique sera empreint d’une grande lucidité. Lucidité dans les relations tolérantes qu’il savait entretenir avec les autres. Cette lucidité s’est traduite par une attitude politique, où l’ambition personnelle cédait la place à un esprit d’équipe. Firmin Abalo, que j’ai rencontré quelques années avant sa mort a rappelé avec émotion ces instants d’amitié qu’ils ont partagés et au cours desquels, ils allaient se servir en toute confiance, directement dans la cuisine, les plats ou sauces qu’ils voulaient, quand ils se rendaient visite. Avant que la politique ne ls sépare avec l’emprisonnement des militants de la JUVENTO.
Oui ! si Laurent DJAGBA peut être considéré comme un grand homme, c’est pour avoir su prendre les initiatives qui ont permis la constitution d’une véritable équipe d’hommes politiques engagés au service du développement de la circonscription de Dapaong, qui recouvrait à l’époque l’actuelle préfecture de Tone, celle de Tandjoaré, celle de Mandouri. Alors que sa grande amitié avec Sylvanus Olympio aurait pu lui permettre d’assouvir ses ambitions personnelles, il se contenta du poste de Questeur à l’Assemblée Nationale pour travailler à l’élection du Chef DOBLI à la vice-présidence de ladite Assemblée. C’est encore lui qui conseilla au Président OLYMPIO de ne pas nommer un ministre parmi les cinq députés de Dapaong , mais de choisir une autre personnalité moba pour son gouvernement. Car pensait-il, l’esprit d’équipe que les députés de Dapaong avaient réussi à instaurer entre eux risquait de se briser à cause d’une déplorable jalousie si, l’un d’entre eux venait à entrer au gouvernement. Alors que s’il leur était donné de pouvoir choisir une autre personnalité que le Président nomme, ils prendraient davantage conscience de leur importance en tant qu’élus du peuple. Leur choix se porta sur Martin SANKAREDJA, décédé le 9 mars 2005. Celui-ci devint ministre de l’Education Nationale élargissant ainsi le club des hommes politiques soucieux du bien-être et du développement de leur région et de leur pays.
Sa lucidité se doublait d’une fidélité sans faille au parti du CUT et à son leader Sylvanus OLYMPIO, à telle enseigne que le coup d’Etat du 13 janvier 1963 fut pour lui un véritable supplice. Il sera de ceux qui refuseront toute collaboration pour ne pas dire compromission dans le cadre du gouvernement d’union nationale imaginé par les putschistes.
Ce refus de composer lui vaudra deux emprisonnements de huit mois chacun entre 1963 et 1966 . Sa première arrestation eut lieu en février 1963 alors qu’il discutait avec son ami Ernest GASSOU tard dans la nuit sur la stratégie que le CUT devrait adopter face à la situation née du 13 janvier. Comble de cynisme, le militaire qui conduisit le groupe venu l’arrêter avec son ami GASSOU était un de ses cousins, qu’il avait fait venir à Lomé, dont il s’était occupé, qu’il avait aidé à intégrer l’armée dans les années 50. Mais disait-il, il n’y est pour rien, ce sont ceux qui veulent pourrir la situation dans ce pays, qui imaginent un tel stratagème, pour briser la solidarité dans les familles.
Une fidélité à toute épreuve
Les deux emprisonnements ne le changèrent pas. Et le 21 novembre 1966, quand le peuple descendit dans les rues de Lomé pour réclamer la démission du Président GRUNITZKY et la restitution du pouvoir au CUT, il était parmi les meneurs. Il sera encore arrêté cette fois ci devant Nangbog Banabo qui était venu ce soir là le saluer à la maison et certainement pour faire le point des événements du 21 novembre. Il sera libéré le 13 janvier 1967, quand l ‘armée renversa le Président GRUNITZKY.
Eyadèma, qui accède au pouvoir tente alors de faire de lui un ami. Il le fait d’abord entrer en 1968 au Comité Constitutionnel chargé d’élaborer une nouvelle constitution pour le Togo. Ce comité sera discrètement dissous parce qu’il refusa de proposer le parti unique , comme le souhaitait le président . Il lui proposera ensuite d’entrer dans son gouvernement. Eyadèma sollicite pour cela les bons offices de feu Emile NASR, qui comme ses frères et sœurs était un grand ami de Laurent DJAGBA. Non seulement le refus de devenir ministre fut catégorique, mais il fut assorti d’une téméraire explication. « Je ne sais pas trahir. Et puis, vous aviez des solutions spéciales pour faire mieux que nous. Mettez les en œuvre pour que nous voyions à quoi elles ressemblent et quels en seront les résultats. En tout cas, ne comptez pas sur moi pour m’associer à vous pour qu’en cas de difficultés, je sois le bouc émissaire. » dira –t - il en substance au président Eyadèma.
Certains de ses amis de l’époque à qui il raconta cette rencontre lui conseillèrent de quitter le pays, car comme bien des présidents tout nouvellement parvenus au pouvoir, le lieutenant colonel Etienne Eyadèma n’acceptait pas qu’on lui tienne tête, qu’on se mette en travers de ses projets. DJAGBA Laurent n’écoutera pas ce conseil et continuera à mener sa petite vie de greffier au tribunal. Mais pour beaucoup de ses amis, son destin était scellé, car il ne faisait plus l’ombre d’un doute qu’Eyadèma attendait le moment opportun pour le frapper pour sa témérité. Surtout qu’il voulait avoir toute la partie nord du pays dans sa poche et qu’il ne pouvait pas tolérer un comportement qui y limitait son autorité. Pour l’exemple, qui dissuaderait d’autres velléités de liberté ou de fidélité à Sylvanus OLYMPIO dans le nord, il lui fallait frapper DJAGBA Laurent. L’occasion lui fut donnée de prendre cette revanche avec le complot du 8 août 1970. Bien que jugé et condamné à dix ans de prison, il sera détenu avec ses amis au Camp militaire de Tokoin, où quotidiennement il subissait un supplice. A tel point que , rapportera un de ses amis qui eut la chance de sortir de prison, DJAGBA Laurent voyait chaque jour sa mort s’approcher. Quand cette affreuse éventualité commença à être pour lui une évidence, sa préoccupation constante fut ses enfants, 17 au total, dont l’aîné n’avait alors que 18 ans.
C ‘est cet amour du père soucieux de ses enfants, qui explique que cette forte personnalité ait accepté de mimer l’acte sexuel sur le sol, quand EYADEMA déjà grisé par le pouvoir se croyait tout permis. DJAGBA Laurent accepta cette humiliation pour avoir la vie sauve pour ses enfants. Mais la machine à tuer inaugurée le 13 janvier 1963 ne sut pas s’arrêter. Et quand dans la nuit du 31 décembre 1970 au 1er janvier 1971, il fut torturé à mort et enterré dans un endroit jusqu’ici inconnu de la famille, un crime fut commis sur l’homme politique, qui avait une si haute idée de la politique qu’il ne s’attendait pas dans ce domaine à des monstruosités comme celles qui l’ont humilié et tué. Un crime fut également commis contre le père de famille qu’on ne sut pas comprendre. Imaginez les juifs assassinant saint Pierre bien qu’il ait renié Jésus. Voilà résumé toutes proportions gardées un aspect du crime qui fut commis contre DJAGBA Laurent.
Quand on ne sait pas comprendre un père de famille, c’est à dire le langage de l’amour, de quelle nation peut-on être le père ? Eyadèma est allé aujourd’hui dans ce pays où il l’envoya en 1971. Et son fils parle de réconciliation. De son vivant, Laurent DJAGBA était un homme qui savait sauvegarder les relations fraternelles et amicales entre les gens. La manière dont certains de sas adversaires politiques ou certains des responsables politiques du règne Eyadèma ont parlé de lui ne laisse aucun doute sur cet aspect de sa personnalité. Il a été en effet surpris par la méchanceté parce qu’il n’était pas méchant et qu’il ne s’imaginait pas qu’on puisse l’être au point de l’humilier et de le tuer .

La réconciliation, il l’aurait voulue certainement, et ses descendants se résolvent à croire qu’une telle démarche est nécessaire. Mais il aurait voulu aussi d’une tombe fleurie à intervalles réguliers. Les deux doivent aller de pair pour que ses descendants et ses amis croient à une réconciliation sincère. Il n'y a pas de raison qu'il en soit autrement. Même les Nazis savaient où ils enterraient leurs victimes. Pour un régime qui ne veut pas être assimilé aux nazis, il doit être possible de savoir où est enterré Laurent DJAGBA.

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